samedi 11 février 2012


Adam Vackar
Glissement #3

Commissariat Jean-Marc Avrilla
Du 26 janvier au 31 mars 2012
Le Dojo, 22bis boulevard Stalingrad, Nice.

Vernissage et performance, mercredi 25 janvier


Pour la troisième étape du programme Glissement, Adam Vackar propose un ensemble d’installations conçues spécifiquement pour le Dojo.



Adam Vackar aime se confronter à la réalité. Mais cette confrontation a pour ambition d’en faire apparaître les failles, d’en faire surgir l’absurdité. Sans nul doute Adam Vackar est un sculpteur au sens où il s’attaque à la matière même de notre monde contemporain qui est ce trop plein de réalité, cette évidence de pragmatisme dans toute sa matérialité, jusqu’à celle du savoir (capitalisme cognitif). Mais de surcroît il est un artiste politique au sens propre, c’est à dire que ses œuvres dévoilent tous les systèmes mis en place, qu’ils aient mission de hiérarchiser la société, de canaliser nos vies comme de masquer leur propre vacuité. 

Adam Vackar est un artiste tchèque dont l’activité se place schématiquement entre Prague et Paris. L’histoire du système étatique communiste ne lui est pas étrangère, bien au contraire. Elle nourrit une position de questionnement, d’écart, de décalage, de mise en absurdité comme nous dirions mise en perspective. Ne jamais s’arrêter au discours officiel ou dominant, savoir déchiffrer, traduire. Savoir utiliser et jouer avec le langage. Car le langage est très important pour Adam Vackar. Historiquement, le langage est ce qui structure le ready-made, son invention, ce passage d’une réalité usuelle à une métaphore réalisée. Et le langage intervient de manière constante dans le travail de l’artiste : poèmes offerts aux passants et récupérés dans la poubelle où ils les ont jetés, poèmes dadaïstes de formules chimiques de produits de consommation courante que personne ne comprend, texte décomposé, mots de passe incompréhensibles, livres encore, que brulent ou traînent de nouveaux damnés dans les ruines mêmes de notre civilisation. La langue, par son extrême plasticité à s’adapter au monde, par sa capacité à détourner le réel est sans doute la matière qui structure tout son œuvre jusqu’à ces compositions de musiques jouées à partir de partitions écrites à l’aide d’une arme à feu. À travers le langage et les multiples formes qu’il peut prendre, c’est toute l’altérité que recherche Adam Vackar, l’autre voix, les autres voix, autres que celles dominatrices des systèmes dominants.




Pour le Dojo, Adam Vackar a souhaité intervenir par une installation de plusieurs œuvres créées pour cette occasion et par une performance, le jour du vernissage.

Cette intervention prend d’une certaine façon la forme d’un triangle équilatéral : aux trois points des extrémités, trois installations. Tout d’abord le Schème de l’axiome et de la théorie alternative, 2012, constitué de deux trépieds chromés portant chacun un long tube en acier. L’un représente l’axiome, ce qui doit être admis, une vérité indémontrable, tandis que l’autre qui le croise est la théorie alternative, celle qui peut précisément être démontré et qui pourfend la vérité trop évidente. Un face à face toujours en équilibre. Au second point est Onomatopoeia, nouvelle version d’une sculpture conçue en 2011. Cette sculpture est une construction métallique de tubes formant des pans triangulaires associés en une figure en trois dimensions élaborée sur le modèle de la théorie de Benoît Mandelbrot consacrée aux fractales. Cette théorie a permit de traiter des objets géométriques comme des systèmes complexes dont les applications permettent de modéliser des situations d’une extrême complexité comme la météorologie ou la finance. Sur le plan sculptural, l’intérêt est d’abord la double condition de l’homothétie des formes et de leur récursivité dans la troisième dimension. C’est ensuite le rapport au réel puisque ce modèle est aujourd’hui la représentation la plus aboutie de toute la réalité qui nous entoure, de la nature aux flux financiers, sans qu’il nous soit toujours donné de la voir. Le troisième sommet du triangle est constitué des Shampoo Poems, série d’affiches de poèmes constitués à partir d’une liste de composants de shampoing tels qu’ils apparaissent sur l’emballage des produits, traités par un « générateur virtuel de poèmes néo-dadaistes » puis retravaillés par l’artiste. Le résultat est une succession de formules chimiques à la sonorité très poétiques mais dont le sens échappe à toute analyse, y compris scientifique, soulignant d’une autre manière l’absurdité même de la rédaction de ce type de textes totalement abscons, comme l’antithèse de la théorie du chaos. À l’occasion du vernissage de l’exposition, Adam Vackar réalisera une performance à partir de ces poèmes. 




Au centre de ce dispositif triangulaire, Adam Vackar a placé une vidéo intitulée La Mort d’un philosophe, 2012. Cette vidéo présente une foule silencieuse et recueillie qui avance vers le Château de Prague, lieu de la Présidence tchèque, lieu d’internement des dissidents de l’époque communiste et haut lieu de la symbolique kafkaïenne. Filmée lors des obsèques de Vaclav Havel dont aucune image de la dépouille ou du cortège officiel n’est montrée, cette vidéo présente une masse de gens réunis autour d’une idée, l’idée d’une voix dissidente, méfiante à tout système, qui trouve sa résonance dans la série des Minutes de Silence que l’artiste à présenter à plusieurs reprises dont, en 2006, au Palais de Tokyo. Cette série fait écho à la notion de commémoration collective, présente dans toutes les sociétés organisées. Mais à la dimension collective plus spécifique à l’époque communiste, il y ajoute, comme par une sorte de privatisation, une dimension individuelle valorisée par les sociétés post-communistes. On retrouve dans cette œuvre les jeux de contradiction propres au travail d’Adam Vackar, entre ce documentaire où se dessine en creux une forme de résistance et les premières performances très critiques quant aux systèmes idéologiques portée par ces manifestations publiques. Dans les deux cas, le rôle est joué différemment par la foule ou l’individu et l’objet même de la commémoration. 




Pourtant, avec Adam Vackar, nous ne sommes ni dans la symbolique ni dans l’imagerie de bons sentiments. Les faits sont toujours réels mais ils se transforment et il en révèle l’absurdité mais aussi la force d’un système dialectique. Ses œuvres ne sont pas figées car le corps n’est jamais loin, celui de l’artiste comme celui du spectateur/visiteur. Non qu’il oblige à une quelconque interactivité programmée mais parce que ses œuvres agissent à la fois sur le langage et l’échelle du corps. Deux clés pour comprendre un œuvre qui est encore jeune mais dont on perçoit déjà les rameaux : le rapport de l’individu au collectif dont l’équation s’est idéologiquement inversé dans la République Tchèque contemporaine comme dans notre Europe que l’on qualifie de post-démocratique. L’individu et le collectif dans un rapport de violence sourde mais bien réelle ; l’individu et le collectif comme enjeu de l’espace publique ; et l’art comme révélateur de situation.  




Adam Vackar est né en 1979 à Prague. Diplômé de l’Ensba-Paris, il vit et travaille à Prague et à Paris. Plusieurs expositions personnelles lui ont été consacrées en 2011 : Synesthesia, GASK, Kutna Hora (curator : Noemi Smolik) ; Glossolalia, Galerie Klenova, Klatovy ; Onomotopoeia, Karlin Studios, Prague. Il a aussi participé à de nombreuses expositions collectives dont, pour l’année 2011 : 2001-2011 : Soudain, Déjà, Ensba-Paris (curator : Guillaume Desanges) ; Videonale 13, Kunstmuseum, Bonn ; 28th Kassel Documentary Film and Video Festival, Kassel ; Realfictions, Galerie de l’indépendance, Luxembourg (curator Didier Damiani) ; Step by Step, Gandy Gallery, Bratislava. Il est également commissaire d’exposition et a notamment curaté It Is Written en 2010 au Centre Pompidou Metz.


Adam Vackar sera présent à Art Statements pour Art 43 Basel, en juin 2012. Il est représenté par gandy gallery, Bratislava (SK). 


Glissement est un programme imaginé par Jean-Marc Avrilla pour le Dojo. Les deux premières étapes ont permis de présenter en 2011 les interventions de l’artiste allemand Nikolai von Rosen et des artistes français Florian Pugnaire et David Raffini. La quatrième étape, au printemps 2012, sera consacrée à l’artiste polonaise Tatiana Wolska. Enfin une exposition collective réalisée par les architectes de La Ville Rayée, Benjamin Lafore, David Apheceix et Sébastien Barat Martinez, sous la direction de Jean-Marc Avrilla, réinvestira l’ensemble des interventions des artistes autour des questions abordées lors de ce programme. 

Pour plus d’information sur le travail d’Adam Vackar : www.adamvackar.com
Pour des informations sur Jean-Marc Avrilla : http://unitedartspace.blogspot.com
Pour plus d’informations sur le programme Glissement :
Pour la Gandy Gallery : www.gandy-gallery.com


Je tiens à remercier particulièrement Luc Clément pour son invitation, son accueil et son total soutien au projet, 
mais aussi toute l'équipe d'Outremer qui accepte avec beaucoup de patience que nous intervenions 
avec les artistes dans leur espace de travail. 
Je tiens également à remercier Florian Pugnaire et David Raffini qui nous ont aidé à la préparation de l'intervention et au montage du projet.

Toutes les photographies de ce post sont des vues de l'intervention de l'artiste au Dojo : ©Adam Vackar 



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