samedi 1 mars 2014

Mnémosyne, déesse de la mémoire...

J’attendais avec beaucoup de curiosité l’exposition de Georges Didi-Huberman et Arno Gisinger au Palais de Tokyo. Je n’avais vu ni l’exposition de Madrid ni celle du Fresnoy. Mon désir était grand de changer de dimension et, après avoir lu une petite partie de son œuvre écrite, d’entrer dans une autre forme d’écriture, celle de l’exposition.

Là réside justement l’intérêt de ce projet Mnémosyne 42. La dimension fantomatique du travail d’Aby Warburg, telle que l’historien français l’a magnifiquement analysée dans les deux ouvrages qu’il lui a consacrés, ne peut cacher une autre dimension ou plus exactement un autre passage, dont Mnémosyne a représenté une étape pour Warburg. Mnémosyne marque le passage de l’œuvre à son image. En noir et blanc, cette dernière cherche à se réduire à l’objet de recherche de l’historien, qui la recadre et l’installe en lien avec d’autres. Il s’agit bien du passage d’un état à un autre, de celui d’œuvre défini en parti par son matériau à une trace, empreinte photographique, qui nie en partie ce qu’était l’original pour accentuer les éléments servant d’arguments au discours de l’historien.

Georges Didi-Huberman réactualise la planche 42 en puisant aux sources du plus puissant mode d’expression artistique du XXe siècle, le cinéma. Ici le recadrage est celui du temps, de l’extrait qui est coupé pour porter l’attention sur une séquence, ou même moins, un instant. Les films numérisés sont projetés en conservant leur aspect coloré ou noir et blanc d’origine. Il n’y a donc pas de changement matériel visible sauf qu’il s’agit bien d’une partie seulement de l’œuvre qui est ainsi sélectionnée et montrée au public, projetée au sol.

La taille de la projection, les distances entre les images, leur proximité immédiate ou non construisent un assemblage qui est proche des planches de Mnémosyne de Warburg. Mais une différence apparaît en regardant la mise en scène de la planche 42 projetée sur grand écran par un mouvement de caméra qui ne permet pas de la contempler dans son intégralité, mais glisse en surface, composant ainsi une série de séquences. Or ce mouvement est précisément celui que nous spectateurs, une fois le point de vue surplombant terminé, sommes amenés à faire en circulant entre les images.

Cet artifice ne me paraît pas anodin, comme je peux imaginer la précision du travail de l’historien français. Chacune des planches de Mnémosyne de Warburg est considérée comme une image composée de multiples images. Le fond noir est justement ce fond cosmique sur lequel flottent les images. En offrant cette lecture dynamique de l’œuvre de Warburg, en la prolongeant par sa propre interprétation à l’aide d’un type d’œuvres que l’historien allemand n’a pu connaître, c’est une autre dimension que Georges Didi-Huberman lui confère en retour, celle qu’avait su révéler un troisième historien, Philippe Alain Michaud, une dimension cinématographique.

Or c’est une dimension trop peu souvent prise en compte dans l’analyse même des expositions que cette circulation, qui, comme un plan séquence dont le spectateur serait la caméra, glisse tout au long d’un assemblage collage dont l’Atlas, suite de Arno Gisinger en montre le principe. Une mise en image qui justifie cette mise en exposition pour que nous puissions appréhender l’œuvre. Bref, une histoire de passage d’états.

Jean-Marc Avrilla
Février 2014