jeudi 3 décembre 2009

Visite de l’atelier de Benoît Maire





« Seul le nez de Giacometti résiste au il y a »
Benoît Maire, Esthétique des Différends, partie IV


a- La fiction

J’ai longtemps cru que le travail de Benoît Maire s’inscrivait dans la fiction, ou pour le moins relevait en partie d’un projet fictionnel. La découverte de « A Square in the forest » puis la présentation que nous en fîmes tous les deux en 2007 confirma ma réflexion d’un jeu fictionnel avec le réel. Ce texte fut bien plus que cela puisqu’il apparaît aujourd’hui comme le point de départ d’une interrogation aigue sur le modèle de l’exposition, sur ce que pourrait être aujourd’hui une exposition. Mais c’est une question qu’il me faudra aborder dans un prochain article. En réalité, ce qui intéressait Benoît Maire était plus la fiction comme objet littéraire déplacé dans le domaine de l’art que la fiction comme projet artistique. Cette question du glissement est, je crois, une figure importante chez cet artiste. Elle répond à une autre interrogation, celle des catégories, des limites, de ce que j’ai pu appeler de manière générique dans l’exposition « On fait le mur » en 2007, une frontière. Nous ne cessons de penser avec ces frontières alors qu’elles nous handicapent ; alors que nous sommes dans ce tiraillement permanent entre une logique de catégorisation et une logique de glissement d’un territoire à l’autre.


b- The re-enacment

Parmi ses toutes premières préoccupations figuraient, si ma mémoire ne me fait pas défaut et en dépit de l’absence de note ou d’archive, des propositions de re-enactment d’expositions passées. J’emploi volontairement le mot anglais plutôt que sa version française de reconstitution qui tend soit vers la criminologie, soit une relecture en costume de l’histoire. Nous n’étions avec Benoît Maire ni dans l’un, ni dans l’autre, tant ce qui était important dans ces projets relevait de l’écart entre sa proposition et la scène initiale. Je n’entrerais pas plus avant dans ces souvenirs flous car ce qui nous intéresse ici est bien cet écart. C’est dans cet écart que le langage prend ou reprend une place dans ses dispositifs pour le combler au point, parfois de ne pas saisir sur ses intentions.


c- La part du langage

La première œuvre de Benoît Maire que je vis était un texte inachevé décrivant une rencontre d’artistes dans un château, en lieu et place d’une exposition. Il y eu ensuite « Le Jeu de Château ou la Décision », jeu de hasard où sur un coup de dé et quelques morceaux de doigts de l’artiste, il m’annoncerait oralement quelle direction prendre pour la décision mise en jeu. Le langage oral ou écrit tient une place centrale chez Benoît Maire. Il n’est pas le matériau de son travail par excellence, mais son articulation. Il est ce qui articule les objets et la matière. Mais chez cet artiste, le miroir à double face est aussi une pièce récurrente et de ce fait, on pourrait aussi dire que les objets et la matière articulent le langage. Il en ressort une difficulté face à laquelle est confronté chaque regardeur, l’incompréhension. Non qu’il cultive cette incompréhension mais il désigne celle-ci comme fondamentalement liée à l’expression par le langage comme par l’œuvre d’art. C’est une approche linguistique, voire infiniment analytique de l’art, s’inscrivant en cela, sans doute, dans une tradition conceptuelle, mais avec la volonté de jouer sur cet affect. Il s’agit de montrer la part irréductible du langage et de l’objet ; jouer sur ce trouble, ces sentiments au péril de la perte du travail pour le visiteur.


d- Le miroir

Il est une récurrence de son travail, un objet du trouble, le miroir. Devrais-je dire il y a dans son travail un objet trouble. Il m’est apparu dans « L’Histoire de la Géométrie n°1 », dont l’image principale du collage est une photographie noir et blanc d’une œuvre de Robert Morris, « Untitled (Mirror Cubes), dépliant l’espace par quatre cubes de miroirs. Son effet dédoublant dans « L’Histoire de la Géométrie n°2 » n’est rien à côté de « Coin sans Objet – Pour Anatole Atlas ». Si, face à cette œuvre, on ne peut que penser à Robert Smithson, l’absence de tout autre matériau que l’espace, ce que l’on nomme le vide en langage commun, nous interroge sur le titre. L’hommage à l’homme qui interrompit Lacan lors de ce séminaire filmé, tient, par cette confrontation soudaine de la pensée à la matière, à affirmer l’écart entre la théorie et la forme. Mais cet hommage est un trou dans l’espace, reliant matière et langage, comme en une figure miroir, le trou dans l’encyclopédie allemande de philosophie, « Holes in Philosophy #1 » reliant épochè à épicurisme.

e- Esthétique des Différends

Benoît Maire travaille à un projet colossal depuis quelques années. Il élabore une Esthétique. Se référençant à la pensée et à l’ouvrage de Jean-François Lyotard, « Le Différend », il l’a intitulé « Esthétique des Différends ». Il s’appuie à la fois et en même temps sur la méthode philosophique et sur la méthode artistique pour penser et rédiger/mettre en forme cette Esthétique. Il s’agit de provoquer la pensée par la matière, mais aussi la matière par la pensée. Cette Esthétique tient dans un dispositif où s’articulent, se confrontent et/ou se superposent photographies, dessins, textes, objets, vidéo, etc. Ce double mouvement pose le problème du système logique du langage vis à vis des matériaux. Le choix d’un système proche du collage, où tous les éléments du dispositif sont placés dans une dynamique (ils sont liés entre eux et peuvent être replacés différemment) accentue ce projet d’interroger le trouble de l’écart entre le langage et l’objet. Ce n’est sans doute pas un hasard si Benoît Maire préfère parler de documents que d’œuvres, quand il évoque ses artefacts, laissant leur charge symbolique pour mieux cibler la logique. C’est à cette « Esthétique des Différends » que j’empreinte le modèle de cette note avec classification a, b, c, etc.

f- La chambre et l’atelier

Que peut être l’atelier de cet artiste creusant la philosophie, le lien de l’objet à son idée ? Il en a eu plusieurs, souvent ses appartements. Aujourd’hui, posé pour quelques mois encore dans un studio qu’il devra quitter, son lieu de travail est envahi de tables. Comme des plateaux spécialisés où chaque phase de son activité est clairement identifiée, chacune de ces tables recèle les travaux en cours. Sur l’une ronde les ouvrages de philosophies annotées s’accumulent, les fiches de lecture les côtoient ; sur une autre au plateau allongé les collages attendent de sécher, un tableau peint de frais est posé comme une idée en suspens, un demi buste, tête coupée en deux, travail récent, occupe un bout ; à l’opposé, plusieurs plateaux de forme ovale, octogonale ou carrée bouchent en partie la grande baie qui s’ouvre sur un parc agréable ; il y a aussi ce long plan de travail contre le mur où est installé l’ordinateur ; des tiroirs où Benoît Maire archive, des documents, cartes ou gravures, peut-être photographies sont là aussi dans l’attente. Je devine les mouvements du work in process, ce glissement d’une table à l’autre, mais aussi les confrontations de l’idée et de sa forme, du langage et de sa matière. Un visiteur rapide pourrait penser que son art n’a pas besoin d’espace. Faux. Je sens bien qu’ici se préparent les expositions, que les mises en formes, les rapprochements, s’expérimentent dans cet espace. Finalement la forme prise par son « Esthétique des Différends » imite celle de son atelier, de son processus même de travail. Non ce n’est pas un artiste en chambre comme pourrait l’être le philosophe ou l’écrivain. Il travaille sur l’espace entre le langage et la réalité, et cet espace a besoin de se déplier. Il me reste une question à laquelle il me faudra répondre un jour : la place de la table dans son travail ?

Vous pouvez retrouver le travail de Benoît Maire à la galerie Cortex Athletico, http://www.cortexathletico.com/
et à la galerie Hollybush Garden, http://www.hollybushgardens.co.uk/

Photos Copyright Jean-Marc Avrilla