lundi 19 octobre 2009
Simon Boudvin le tératologue. Partie 1
La tératologie est l’étude des monstres, initialement au sens biologique du terme. On pourrait élargir son sens à d’autres champs comme ceux de l’art et de l’architecture sans émettre aucunement un avis péjoratif sur la création contemporaine, mais simplement par constat. Vous me direz que cela revient à définir une norme ou encore plus bourgeoisement un bon goût face auquel les œuvres dont je veux parler se différeraient. Je vous répondrais que le bon goût est affaire de temps et de mœurs et qu’à ces deux titres il est variable, y compris dans son mauvais goût. Non, ce qui m’intéresse sont les monstres contemporains que certains artistes nous dévoilent ou nous révèlent avec toute la poésie qui nous empêche souvent de nous les saisir ou de nous y arrêter plus qu’un regard.
C’est en visitant l’atelier de Simon Boudvin que je découvris non pas le sujet lui même sur lequel il m’a été permis de réfléchir comme nombre d’entre vous, mais la question qu’il portait, et que je compris qu’il constituait un corpus d’étude clairement identifié auquel cet artiste donnait, là aussi de manière limpide, le savant nom de tératologie. Ce sujet qu’il développe dans le cadre de son enseignement trouve son origine dans le travail de Raphaël Zarka avec qui il collabore. Je ne peux m’empêcher de vous faire remarquer qu’à un lapsus près, nous pourrions tomber dans un autre univers autrement « monstrueux » ! Bref, les monstres urbains sont parmi nous et pire, nous les avons créés. Vous me direz encore, rien de très nouveau ! Mais, la particularité des monstres de Simon Boudvin tient dans l’observation qu’il fait de leur vie, ou pour être encore plus précis de leur processus de vie et de leur existence bien réelle parmi nous. Laissez moi aller un peu plus avant.
La ruine et le chaos sont des éléments constituant le fond des œuvres de Simon Boudvin. Mais la thématique est ailleurs. Pour les fidèles de la galerie Jean Brolly, l’image est claire ; ou plus exactement l’idée est bien dans cette tension entre ce qui est représenté, illustré, et la question de fond, fondamentale. Ceux-là se souviennent de ce pylône électrique qui, ployé sous le poids d’un accident artificiel, était entré dans l’espace de la galerie. C’était comme être transporté au cœur de l’accident mais bien au chaud. Il en reste une image troublante d’une situation anormale, faisant suite à d’autres images tout aussi troublantes de pavillons de banlieue dont les cellules auraient muté pour créer des excroissances. Ou ces carrières de pierres éclairées au néon, totalement vide qui se révèlent être des photographies inversées de ces espaces totalement obscurs qui sont eux-mêmes espaces cartographiés et inversés de nos architectures, en l’occurrence de nos architectures haussmanniennes. Ou encore de la promenade d’un cube d’acier au milieu de ruines et d’amas de béton d’une usine détruite.
Il ressort de ces figures qu’elles se proposent à nous sous forme de cycle. La série des carrières en est peut-être la plus explicite : on creuse une carrière pour en retirer la pierre de construction, celle-ci finit dressée sur un boulevard pour devenir gravats quelques années après sur le plan géologique, un bon siècle sur le plan humain, et retourne combler la carrière ! Cycle durable ? Ou métaphore explicite d’une société qui cherche à se déculpabiliser de son avidité à engloutir la nature ? Il en résulte néanmoins une véritable économie, celle de la ruine et du monstre, fort éloignée des représentations de ruines auxquelles nous conviait le XVIIIe siècle, non pas tournée vers un passé édifiant, mais dans une figure circulaire infernale essayant sans cesse d’effacer l’empreinte maléfique de son développement.
Simon Boudvin vit et travaille en Ile-de-France. Il est diplômé de l’Ensba et de l’Ensa-Paris-Malaquais ; il intervient comme enseignant à l’Ecole Spéciale d’Architecture et à l’Ecole nationale supérieure Paris-Malaquais.
Pour une tératologie urbaine voire : http://teratologie-urbaine.net
Les photographies "5 Piliers", 2005, "Pont", 2008, et "Pylône", 2009, droits réservés.
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