Je n’ai pas la chance de connaître Mounir Fatmi mais je
peux imaginer l’abattement qu’il a du ressentir en ce début d’octobre lorsque à
Toulouse puis à l’Institut du Monde Arabe, deux de ses œuvres ont été retirées.
Je voudrais lui dire mon soutien tout en essayant de comprendre ce qui a pu se
passer.
Ces deux cas ne relèvent pas d’une même situation quand bien
même l’un et l’autre, dans la manière dont ils se sont passés, me heurtent réellement.
Dans le cas de Toulouse, on peut comprendre la nécessité
d’un appel au calme, d’un apaisement, et regretter que les responsables du
Printemps de Septembre n’aient pas prie toute la mesure des risques et veiller
avec l’artiste à ce que l’œuvre
soit présentée dans les meilleures conditions. On peut se demander comment une
telle erreur de jugement a pu se produire quant aux garanties de mise en place
de l’œuvre, mais il est toujours plus facile de commenter a posteriori et
évidemment difficile d’imaginer a priori ce que furent les réactions de
certains croyants. C’est une situation qui n’avait probablement pas été
imaginée une seconde, et sans doute est-ce là une erreur que de penser que
l’art puisse exister en parallèle du monde.
La censure de l’Institut du Monde Arabe me paraît être d’une
autre dimension et révéler une situation probablement beaucoup plus grave. Sleep n’a pas été autocensurée. Cette
vidéo a été censurée par les responsables de l’IMA. Elle n’est pas censurée parce qu’elle porte atteinte à la
religion musulmane mais parce qu’elle représente Salman Rushdie, auteur des
Versets Sataniques. Il n’y a là nulle attaque contre la religion musulmane mais
seulement la peur de blesser certains par la représentation d’un homme contre
lequel a été lancée une fatwa par l’ayatollah Khomeini en 1989. Et je ne
reviens pas sur l’histoire de cette fatwa qui continue d’être une blessure au
visage de la liberté de pensée.
Cela soulève trois problèmes majeurs. Le premier est
l’indépendance même de cette institution vis à vis de ses contributeurs :
il ne faut pas être naïf pour comprendre le lien entre ce refus d’exposer cette
œuvre et les subsides nécessaires au fonctionnement de cet établissement apportés
par certains pays arabes. Le second est que les voix discordantes venant de la
société arabe comme Mounir Fatmi ne sont pas autorisée, même en France :
quel étrange paradoxe de voir éclore une pensée artistique libre issue du monde
arabe et de continuer à ne vouloir entendre que l’unique voix officielle qu’on
ne saurait dans la plupart des cas soupçonner de démocratie ! Le troisième
et le plus grave est qu’un tel acte de censure revient à valider cette
fatwa : comment une institution publique peut-elle se ranger derrière un
principe d’inquisition religieuse ; en acceptant que la figure même de
l’écrivain soit ainsi porteur d’un blasphème dont l’accusent certains clercs
musulmans, cette institution se rend coupable de soutien aux menaces qui pèsent
sur lui. Non seulement l’IMA déshonore ainsi la République dont elle est une
instance culturelle, mais ne elle remplit pas sa mission qui est d’œuvrer au
rapprochement des cultures occidentale et arabo-musulmane.
Sans doute les responsables de l’IMA ont du se dire qu’il
était plus sage d’apaiser ainsi un climat de tensions. Mais ils sont tombés dans
un piège dont il est difficile de sortir. Il ne s’agit pas seulement de la
liberté d’expression, mais bien de la liberté de pensée. Or l’Histoire nous
montre que tout recule en la matière ne présage rien de bon car il est toujours
impossible de revenir en arrière. Ma voix pèse peu mais il me semble de mon
devoir, de citoyen et d’acteur de la culture, de dire qu’une telle attitude de
la part de responsables institutionnels n’est pas tolérable.
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