mercredi 27 mai 2009

Version 01 Beta







Sur une exposition au Lieu-Commun à Toulouse

Cette exposition conçue par Valéry Grancher, Damien Aspe et moi même, a été présentée du 3 au 25 avril 2009. Son titre énigmatique signifie simplement qu'elle se présentait à Toulouse sous une forme de démo. Je publie ici un communiqué présentant le projet dans une version élargie accompagné de photographies de l'installation de Toulouse. Cette exposition aborde des questions qui me paraissent fondamentale pour la compréhension de notre société mais qui sont trop rarement abordées.

Les œuvres réunies dans cette exposition sont de véritables mutants, hybridant langage, données, flux et modélisations. Cette exposition scanne les signes informatiques dans le corpus commun des arts plastiques. Elle offre pour la première fois dans une institution artistique un parcours sur la transformation de notre société sous l’effet de l’informatisation de notre réalité.



Ces dernières décennies, sous l’habit de la globalisation, l’informatique a contaminé tous les champs de l’activité humaine. Le phénomène de globalisation économique et culturel modifie considérablement nos sociétés par un accroissement et une accélération des échanges entre les pays occidentaux, les puissances asiatiques et les nouvelles puissances émergentes. Au cœur de ce mouvement mondial des sociétés, se placent les systèmes d’information. La question que nous sommes logiquement en droit de nous poser est celle de l’impact de l’informatisation sur la société, nos modes de pensée et plus particulièrement sur l’art. Comment ce champ de l’intelligence et de la sensibilité humaine réagit à cette contamination et à cette infiltration ?

Les systèmes d’information sont aujourd’hui les moyens d’organisation et de véhicule de l’information (moyens de communication) mais aussi l’ensemble des ressources organisées (collectes, stockages et traitement de l’information). L’informatique joue ici un rôle central qui a conduit en 30 ou 40 ans à une modification considérable de notre rapport au monde. Il n’est sans doute pas un pan de nos sociétés qui n’ait été touché par ce bouleversement.

Le modèle économique mis en place dans les années 1970, basé sur des logiques de sous-traitance et de post-production, a influencé toute une génération d’artistes dans les années 1990. Aujourd’hui, le modèle informationnel de gestion conjointe de l’image et des flux, apparu à partir de la fin des années 1980, définit une double existence du monde. A la réalité du monde s’est ajouté une réalité virtuelle qui n’en n’est pas moins réelle. Mais elle est une réalité d’images non pas isolable, mais participant de la réalité du monde. Ces deux réalités sont aujourd’hui non seulement imbriquées l’une dans l’autre mais cette réalité d’images liée aux flux d’informations est structurante de la perception de notre réalité.



C’est dans ce contexte qu’une forme singulière d’art est apparue au milieu des années 1990 utilisant comme support les réseaux informatiques, leurs protocoles ou les logiciels de traitement de l’information (texte et image). Appelé Net Art, ce « mouvement » disparate distinguait deux approches principales : l’une s’appuyant sur les protocoles informatiques, a prolongé l’aventure de l’art conceptuel ; l’autre s’est engagée dans un développement de l’outil technologique dans des dispositifs où les notions de performance et de démonstration techniques sont la finalité.

Ces derniers, partisans de l’outil technologique, inscrivent toujours leur travail dans une course aux nouveautés et aux démonstrations techniques. Les artistes de la première ligne conceptuelle se sont, quant à eux, peu à peu ouverts à des pratiques autres que l’usage du seul outil informatique. Ils ont rejoint des pratiques plus traditionnelles et plus largement partagées (peinture, sculpture et installation) avec une approche qui témoigne de l’infiltration informatique du monde. Il n’y a pas chez eux de recherche de démonstrations techniques mais une interrogation sur les changements de mode de pensée et d’approche de la réalité à la suite de l’informatisation de tous les domaines d’activité de l’homme. Ce groupe fait aujourd’hui connexion avec un ensemble d’artistes dont l’activité portait initialement sur les questions relationnelles et sociales, sans afficher un média privilégié, et qui devaient eux-mêmes beaucoup à l’art conceptuel historique.



Les œuvres de ces artistes font appel à la peinture, à la sculpture comme elles agissent au sein même des réseaux, des ordinateurs ou se construisent en situation hybride, entre les logiciels et la réalité physique. Cette exposition tente ainsi un premier classement entre d’une part, des œuvres extérieures matériellement au monde informatique tout en établissant une référence aux technologies, d’autre part, des œuvres hybrides, utilisant en partie les technologies et en partie des médias plus traditionnels, et enfin des œuvres s’appuyant essentiellement sur les technologies. Cette première typologie pour intéressante et pratique qu’elle puisse être, ne doit pas cacher une seconde typologie plus complexe mais qui nous permet de mieux saisir la manière dont les technologies agissent sur la création. On peut ainsi distinguer l’usage de signes iconiques (Damien Aspe, Bruno Peinado) qui renvoie à la fois à leur caractère universel et à leur historicité, de l’utilisation de symboles d’identification (Cory Arcangel, Valéry Grancher, Miltos Manetas, Space Invader) qui jouent à la fois sur un processus de partage et sur le rapport mémoire/temps. Il convient également de faire l’analyse de la matérialité singulière de ces nouvelles technologies, entre la question du Low-tech (Cory Arcangel, Etienne Cliquet, Serge Comte, Wade Guyton, Olah Perhson) qui met en avant notre capacité à s’accaparer les technologies, de celle du simulacre (Angella Bulloch, Joe Bradley, Space Invader, Xavier Veilhan, Christian Vialard) qui joue sur le rapport ambigu à l’image/objet. Mais on ne saurait oublier un élément qui, bien qu’appartenant au domaine du langage, peut être considéré comme la matière première même du système technologique, au titre où une langue est la matière première même de sa littérature : ces langages informatiques à travers leurs programmes sont l’objet même d’un certain nombre d’œuvres (Andreas Angelidakis, Cory Arcangel, Damien Aspe, Claude Closky, Collectif 1.0.3, Harun Farocki) et s’offrent sous leur forme d’interface avec le public comme leur forme programmatique, avec à chaque fois leur capacité à modifier une des deux réalités, physique ou virtuel.



A l’heure où le réseau internet et l’informatique mondiale ne repose plus sur la puissance d’un processeur, mais sur sa capacité à simuler sa propre activité (Systèmes VMWARE de virtualisation), nous ne voulons pas aborder la technologie comme outil de production de nouvelles formes plastiques, mais comme nouveau moyen de définir et questionner la ‘figuralité’ du monde. Il n’est plus question de nos jours, d’objectiver un monde meilleur en inventant un futur radieux tel que la modernité du XXème siècle le faisait. Il s’agit de se saisir de ce monde informationnel qui a envahi notre réalité, de le pousser à se matérialiser pour mieux en définir les contours. Il s’agit pour les artistes d’habiter ce monde informationnel.

Cette exposition rassemble pour la première fois un échantillon représentatif d’artistes dont le travail interroge la double réalité du monde, réel et virtuel. Leurs œuvres ne font plus référence à la réalité matérielle du monde mais à une autre réalité dite virtuelle, marquée par une infiltration par le processus informatique, une simulation informatique ou plus simplement le signe informatique : la pixellisation, la modélisation, la simulation de logiciel ou l’utilisation de signes iconiques de notre univers informatique sont désormais des filtres pour penser le monde.

(Sur les photographies, la première, les œuvres Bruno Peinado et de Damien Aspe, la seconde, de gauche à droite, les œuvres de Pierre Huyghe, M/M, Bruno Peinado et Damien Aspe)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire