C’est un début !
Exposition autour de la résidence de commissariat de
Jean-Marc Avrilla
Nous pensons savoir ce qu’est une exposition : un ensemble
d’objets dans un espace dont l’articulation produit une pensée. Une exposition
est une forme de texte dont les objets sont des propositions qui par eux-mêmes
ont un sens et qui, par leurs relations, développent un sens complémentaire ou en
offrent un sens tout différent.
Mais comment – et non pas pourquoi – des objets peuvent
s’articuler entre eux ? Là se situe le travail du commissaire. Le pourquoi
est la question préalable qui définit le contexte. Le comment est le sens même
de l’activité curatoriale qui implique des choix quant au mode d’échange à
définir avec l’artiste, quant à la sélection des œuvres ou de l’approche du
travail, quant à la mise en espace de ces choix afin de les rendre lisibles aux
visiteurs/spectateurs.
Cette exposition tente de rendre compte de la résidence de
commissariat de Jean-Marc Avrilla à Meetfactory, d’une durée de deux mois. Cette
résidence a été pensée comme un travail exploratoire qui précède tout choix dans
la définition d’un ou plusieurs projets d’exposition. Cette exposition tente de
faire apparaître comment il a organisé cette recherche sur la scène artistique
tchèque afin de pouvoir définir des projets et engager des choix. L’exposition par
elle-même est paradoxale car au lieu de parler de ce qu’elle montre, elle tend
à souligner les raisons qui amènent les objets, livres, photographies, etc. à
se retrouver réunis dans leur différence et leur hétérogénéité.
C’est un début ! présente donc un travail de terrain et
les « méthodes » utilisées pour faire émerger des idées et des
projets d’exposition. Par un aspect, ce travail relève d’une méthodologie
ethnographique : écoute, recueil de témoignages, partage de moments
singuliers (rituels de vernissage, visite d’ateliers…), observation des œuvres
et de leur contexte. Par un autre aspect, il apparaît comme une
non-méthodologie basée sur l’échange avec l’artiste, laquelle est indispensable
pour entrer dans son travail et
comprendre sa pratique. De cette immersion plus ou moins profonde dépendra la
forme générale de l’exposition : solo, thématique, de groupe, terminologie
très vague qui masque en réalité une multitude de possibilités pour chaque cas
ainsi que de nombreuses combinaisons.
Le commissaire n’est pas un artiste mais le passeur qui
permet aux artistes de montrer leur travail au public dans un cadre qui lui
conserve sa complexité initiale. Il agit sur un territoire qui ne se réduit pas
à l’objet. Il doit rendre compte des processus mis en œuvre par les artistes,
de leurs relations particulières aux contextes où naît et se déploie leur
travail, décider de prendre en compte ou non l’Histoire, s’engager dans des
formes narratives ou, à l’opposé, laisser l’œuvre dans toute sa nudité
matérielle… Penser la manière de montrer un travail est pleinement une activité
critique plongée dans la réalité des œuvres.
Pour répondre à l’invitation de l’Institut Français,
Jean-Marc Avrilla n’a pas souhaité procéder à une sélection d’œuvres d’artistes
qu’il a rencontrés, considérant qu’un tel projet était prématuré. Il a opté
pour un projet qui témoigne du caractère singulier de son travail et de ses
rencontres, en définissant un protocole très simple permettant à chaque
artiste, curator ou critique de lui répondre. Chacun d’entre eux a été invité à
lui adresser un objet, une photographie, un dessin, une phrase ou un court
texte, comme résultant de leur entretien et comme point de départ pour un
éventuel projet.
À cet ensemble de documents ou œuvres dont le commissaire ne
maîtrise volontairement pas la sélection, s’ajoutent des titres d’ouvrages
littéraires, artistiques ou sur tout autre sujet, demandés aux mêmes personnes
comme conseil de lecture. Une telle requête apparaît souvent lors du travail
entre le commissaire et les artistes, dans l’objectif de mieux cerner l’œuvre
elle-même ou une question essentielle pour l’artiste. Mais elle permet aussi
d’approcher avec plus de finesse la pensée des curators et des critiques.
Enfin, un ensemble de documents, catalogues d’exposition et
imprimés de toute sorte recueillis par le commissaire pendant ces deux mois, est
aussi présenté. De tels documents sont importants pour conserver la mémoire
d’événements dont certains ne bénéficient pas de publication, et constituent la
base même de la recherche curatoriale en devenant son archive.
Documents de travail rassemblés par le commissaire,
documents et œuvres envoyés par les artistes, les curators et les critiques
rencontrés, livres traitant de questions spécifiques, de littérature ou d’art,
forment ainsi trois ensembles correspondant à trois approches développées parallèlement
dans le cadre de cette exploration de la scène tchèque. C’est un début ! est
ainsi le matériau brut de ce qui devrait arriver par la suite. Les expositions
qui en sortiront ne seront réalisées qu’après une étape de filtrage, de
décantation de toutes les informations emmagasinées lors de ce séjour pragois.
Ce que cette exposition tente finalement de montrer à
travers cette mise à plat peu ordinaire de l’activité curatoriale, est la
nécessité du temps : le temps qui permet au commissaire d’écouter les
artistes, de converser avec eux, d’entrer dans leur travail, le temps qui
permet d’explorer la scène dans son fonctionnement, dans sa structure, comme le
temps qui doit permettre aux sujets d’émerger par la suite. La qualité du
travail de commissariat doit répondre à la qualité du travail de l’artiste. Le
travail de l’un et la recherche de l’autre apparaissent plus que jamais
complémentaires.
Artistes et personnalités exposés : Matej Al-Ali,
Bajota, Zbynek Baladran, Viktor Cech, Radovan Cerevka, Andras Csevalfay, Tomas
Dzadon, Grzegorz Drozd, Jarmila Mitrikova & David Demjanovic, Vit Havranec,
Radim Langer, Michal Moravcik, Tomas Moravec, Oldrich Morys, Jiri Skala, Jan
Pfeiffer, Matej Smetana, Jiri Thyn, Tamas Szvet, Adam Vackar, Pavel Vancat,
Tomas Vanek, Jaro Varga, Dusan Zahoransky.
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