Glissement
Le programme Glissement était un programme organisé avec le
Dojo à Nice. Quatre artistes et un groupe d’architectes étaient invités à
réfléchir à la mise en place d’un projet défini à la fois collectivement et par
chacun des acteurs. Glissement entendait mettre à plat la difficile relation
entre l’auteur – artiste, architecte, curator -
et le groupe constitué. Adam Vackar, Nikolai von Rosen, Florian Pugnaire
et David Raffini, Tatiana Wolska, Benjamin Lafore et Sébastien Martinez Barat,
et moi-même, en étions les acteurs et les organisateurs.
Échec ou succès. Ni l’un ni l’autre. Une expérience du
groupe. Une expérience qui a mis en avant la singularité de l’individuation de
l’auteur face au collectif. Deux duos, d’artistes et d’architectes, des
artistes et un curator. Des expériences qui, toutes, font appel à un travail
personnel significatif d’auteur et un rapport à un collectif, duo ou groupe
plus important. Une histoire d’idiorythmie.
En décembre 2016, j’organise avec quelques enseignants de
l’École supérieure d’art et de design Toulon Provence Méditerranée, le
psychanalyste Pierre Falicon et l’Association de la cause freudienne Méditerranée
Alpes Provence, un colloque autour du séminaire que Roland Barthes a donné en
1976-1977 au Collège de France, Comment
vivre ensemble ? Il s’agissait
de réfléchir à cette singularité de conjuguer ensemble le travail d’auteurs.
Singulariser le regroupement de singularités, si l’on veut bien me permettre
cette formule.
Il a été question des regroupements d’artistes, des
collectifs, des relations de soi aux autres, mais aussi de l’enseignement
supérieur artistique.
C’est aujourd’hui une question centrale pour les écoles
d’art. Pensées au XIXe à partir de la relation de maître à élèves, elles ont
inversé cette relation après 1968 pour offrir toute la place à l’étudiant et le
laisser développer de manière souple ses relations à un groupe d’enseignants. Au
cœur de ce dispositif, les fameux entretiens individuels entre l’étudiant et
les enseignants, tour à tour seul, à deux, trois ou quatre… Cela privilégie
l’émergence de la subjectivité de l’auteur, seul bien entendu. Avec un avantage
majeur, l’émergence de sa personnalité d’auteur qui pourra à son tour, le
diplôme en poche, accompagner l’émergence d’autres subjectivités individuelles.
Ce système favorise le marché de l’art car il perpétue
l’idée de l’artiste travaillant dans son atelier ou dans des espaces plus ou
moins hostiles et favorise un style identifiant sa subjectivité ; le
marché est pourtant souvent considéré au sein des écoles comme le milieu
hostile par excellence. La boucle est bouclée, ou la tautologie parle
d’elle-même du côté du marché. Un oxymore fait réalité du côté des écoles. Une
aporie qui broie l’individu et renforce la volatilité du marché.
Mais, ce dispositif, ce système – autre question sémantique
-, cette perpétuation d’un modèle ethnographique plaçant avec une certaine
affection l’artiste en marge de la société pour mieux le placer sur un
piédestal ensuite avant de le faire tomber, se heurte à une évolution – une
révolution ? - apporter par le
développement des technologies numériques et les globalisations successives de
la fin du XXe et du début du XXIe siècle. Ces deux mutations concomitantes et
connexes ne se sont produites que par un travail collectif. Toute avancée
technologique aujourd’hui ne peut avancer que par le collectif. La complexité qui
en est le terme le plus évident, ne peut être abordée finalement que par la
complémentarité des intelligences.
La force des propositions collectives apparaît comme une
évidence, précisément parce qu’elle permet de réunir des points de vue
individuels. Face au monde et à ses enjeux contemporain, l’opposition
individu/collectif n’a plus cours justement en raison de l’impossibilité pour une
seule subjectivité d’embrasser un ensemble vaste de questions concomitantes et
connexes.
Il est donc temps de repenser le modèle pédagogique des
écoles supérieures d’art centré sur l’individuation pour y ajouter le collectif
comme ressource. Ce n’est pas une négation de l’individu comme être pensant et
responsable. C’est justement la valorisation de la relation aux autres comme
responsabilité face au monde. Une autre manière d’être ensemble.